Identification des tendances
Cette année, l’identification des forces structurelles s’est avérée encore plus compliquée que d’habitude. Nous sommes à un tournant décisif, au terme de quatre décennies de désinflation. Dans les économies développées, la société délaisse l’orthodoxie néolibérale pour entrer dans une ère de «capitalisme d’État».
La reflation est en ligne de mire mais nous n’y sommes pas encore, malgré ce que le contexte inflationniste actuel pourrait suggérer. Alors sur quoi pouvons-nous nous concentrer ?
Sur l’inflation
Le caractère exceptionnel de la récession provoquée par la Covid-19 a affecté l’offre et la demande de telle manière qu’il est très difficile de distinguer les forces inflationnistes temporaires de celles plus persistantes.
Les goulots d’étranglement de l’offre sont, selon nous, un phénomène temporaire. La mondialisation ralentit, mais ne s’infléchit pas. Le même raisonnement vaut également pour la demande, qui a connu une flambée suite aux aides gouvernementales sans précédent octroyées aux ménages. Ce soutien s’estompe et nous n’entrevoyons aucune mise en œuvre de politiques drastiques inspirées de la théorie monétaire moderne (modern monetary theory, MMT) avant la prochaine récession américaine.
Des forces structurelles telles que les politiques inspirées de la MMT, le vieillissement démographique et la révolution énergétique continueront de faire fluctuer l’inflation et les taux d’intérêt, et ce tout au long de la décennie actuelle.
À long terme, les économies développées devraient rebondir grâce au recours à des politiques macroéconomiques peu orthodoxes – telles que le financement du déficit par les banques centrales ou la fiscalité négative – libérant dans une large mesure la demande des déciles inférieurs de la distribution des revenus des ménages, étouffée par 40 ans de néolibéralisme.
Sur l’énergie
Le monde s’est engagé dans la voie de la neutralité carbone et la transition énergétique bat son plein.
L’ère du «tout électrique» a commencé, les nouvelles technologies permettant de satisfaire nos besoins énergétiques croissants et de réduire notre dépendance à l’égard des énergies fossiles. Même la Chine, l’un des plus gros importateurs d’énergie de ces dernières années, délaisse les énergies fossiles pour investir massivement dans les énergies renouvelables.
Cette transition au niveau mondial ne se fera pas sans heurts. Cette année, la diminution des investissements dans les énergies fossiles, conjointement aux effets de la réouverture de l’économie ainsi qu’à certaines décisions politiques inopportunes, s’est traduite par des perturbations de la chaîne d’approvisionnement, des pénuries d’énergie et une flambée des cours. La transition énergétique rapide peut ainsi agir comme une force inflationniste à court terme.
À long terme, en revanche, les progrès technologiques dans ce domaine devraient accroître la productivité de manière suffisante à engendrer un effet plutôt désinflationniste.
Sur la Chine
Dès 2017, nous avons lancé le thème de l’accession des actifs chinois au statut de classe d’actifs de base. Si les deux principales sources de la croissance mondiale sont la technologie et les marchés émergents, la Chine est le seul lieu où ces deux moteurs de croissance convergent.
Nous avions prédit que les principales entreprises technologiques chinoises, les BAT (Baidu, Alibaba et Tencent), tutoieraient les sommets à l’instar de leurs homologues américaines, les FAANMG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Microsoft et Google d’Alphabet).
Cependant, ce scénario a été fortement ébranlé à la fin du mois de juillet de cette année, après des mois de pressions gouvernementales contre les comportements monopolistiques, lorsque les plateformes d’éducation privées ont été contraintes à adopter un statut non lucratif. S’est rapidement ensuivie une régulation du domaine de l’Internet dans son ensemble.
Il ne faisait aucun doute à ce moment-là que la Chine n’autoriserait pas une croissance exponentielle du capital sur son territoire. Le pays s’est recentré sur la «prospérité commune» et vise à réduire les inégalités de revenus et de richesses qui se sont creusées pendant l’essor de l’économie chinoise.
Le durcissement de la réglementation chinoise signifie que la valeur, et pas seulement la valorisation, des marchés d’actions chinois a été altérée. Cela signifie-t-il que notre argument stratégique pour la classe d’actifs n’a plus lieu d’être? Nous ne sommes pas de cet avis à l’heure actuelle. Nous pensons que le portefeuille chinois 60/40 (60% actions, 40% obligations) restera un concurrent de taille au cours de cette décennie, en mettant l’accent sur le 40.
En outre, les avantages de la diversification qu’offrent les actions et les obligations chinoises demeurent considérables dans un monde sino-américain bipolaire.
À propos de la blockchain
Nous pensons que la concentration sur la volatilité des monnaies numériques s’avérera une distraction à long terme. En effet, la technologie de la blockchain est à la base de la prochaine révolution numérique et de l’Internet, le Web 3.0.
L’une des perspectives du phénomène de rupture concernant les actifs numériques est la numérisation de la confiance. Les éventuels gains de coût et d’efficacité découlant des contrats numériques «intelligents» pourraient révolutionner de nombreuses activités. Les protocoles de finance décentralisée (DeFi), par exemple, permettent des transactions financières sans l’intervention d’une entité centralisée. La propriété et le transfert de biens immobiliers ou d’œuvres d’art pourraient être simplifiés et rendus plus sûrs grâce à l’utilisation de jetons non fongibles.
En outre, le Web 3.0 pourrait supplanter les gagnants de la dernière décennie, à savoir les réseaux sociaux et les plateformes web. Les internautes ne seront plus tributaires des acteurs de premier plan pour développer leurs entreprises. Ils pourront gérer eux-mêmes des plateformes décentralisées, encouragés par un mécanisme leur permettant de gagner des jetons numériques.
Les opportunités d’investissement seront largement impactées. S’il est adopté, le Bitcoin pourrait devenir le pendant numérique de l’or. Les sociétés actives dans la mise en place de l’écosystème de la blockchain seront au centre de l’attention des investisseurs.
La transition vers le Web 3.0 ne se fera pas sans heurts. La réglementation en est un aspect important. Il est peu probable que les gouvernements occidentaux laissent un système financier décentralisé fonctionner sans supervision. La sécurité est un autre enjeu majeur. Bien que les blockchains soient inviolables de par leur conception, si un individu perd la clé privée de son portefeuille en cryptomonnaie, la valeur de celui-ci est définitivement perdue. Ces aspects, et d’autres encore, sont appelés à jouer un rôle crucial dans la réussite, le degré et la rapidité d’adoption de la technologie de rupture.
Dans ce contexte, comment positionner votre portefeuille selon les experts de Julius Baer?